Les pays industrialisés à la fin des Trente Glorieuses
Près de trente ans de croissance ininterrompue ont donc succédé au désastre économique, politique et humain de la Seconde Guerre Mondiale. Cette période, surnommée « Trente Glorieuses » en Occident, a cependant révélé des hétérogénéités croissantes qui seront encore plus criantes après les diverses crises des années 1970.
La guerre 1939-1945 avait montré la supériorité militaire et technologique des Etats-Unis. Les Trente Glorieuses n’ont fait que prolonger cet état de fait, les firmes américaines rayonnant sur le monde. Leur implantation quasi-généralisée préfigure la mondialisation qui suivra. Néanmoins, à trop vouloir s’exporter, le pays en a oublié son marché intérieur, peu à peu nourri d’importations de plus en plus massives, réduisant l’excédent commercial et affaiblissant le dollar. En effet, cette place de n°1 est en trompe l’œil : les Etats-Unis n’ont pas accru leur avantage sur des puissances pourtant très affaiblies au sortir de la guerre. L’écart technologique avec l’Europe et le Japon n’est plus ce qu’il était, générant une concurrence que les Etats-Unis pensaient avoir limitée. Enfin, politiquement et socialement, cette fin des Trente Glorieuses s’avère très néfaste pour l’image américaine : guerre ratée au Vietnam, graves mouvements sociaux internes. Au final, au début des années 1970, le leader américain fait l’objet de critiques et de concurrences impensables au sein du bloc occidental au cours des années 1950 et 1960.
En Europe, l’hétérogénéité des situations est totale. L’Allemagne a très bien négocié sa partition et, pour sa partie occidentale, su très rapidement réintégrer le corps des grandes puissances. La réussite de l‘Allemagne du début des années 1970 tient à sa domination dans certains secteurs (équipement, automobile), stimulés par des partenariats publics-privés générateurs de croissance. Elle commence déjà à profiter de la construction européenne naissante en gardant ses fondamentaux (faibles inflation et chômage, compétitivité). A cette croissance allemande ordonnée s’oppose une croissance française « désordonnée ». Malgré de bons fondamentaux, le désordre politique a trop desservi la croissance française jusqu’à la fin des années 1950. Ensuite, l’impulsion donnée à l’innovation, au commerce extérieur et à la productivité a permis à la France d’obtenir une meilleure croissance durant les années 1960. Enfin, isolée du reste de l’Europe par son propre choix (puis par celui de De Gaulle), le Royaume-Uni connaît d’importantes difficultés tout au long de la période. Affaibli par la liquidation de son vaste espace colonial, son adhésion à la CEE en 1973 est espérée comme un grand bol d’air frais.
En Asie, c’est le Japon qui apparaît comme le principal rival des Etats-Unis. Pourtant très fortement impacté par la Guerre et ses conséquences, le Japon a profité de quelques atouts majeurs (main d’œuvre abondante, dirigisme, forte épargne) pour devenir la référence dans des secteurs fort divers, allant de la construction navale à la sidérurgie ou aux télévisions. Il a su ainsi, à l’inverse des Etats-Unis, partir de graves carences internes, l’obligeant par exemple à importer toute son énergie, pour obtenir un excédent commercial massif. Excédent qui sera fortement affecté par les crises naissantes du début des années 1970…